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Béatrice et le livre entêté

Béatrice passa la tête par la porte de l'atelier.

«Dante? Il n'y a plus de clients pour le moment. Je ferme boutique une heure le temps de faire un saut à la bibliothèque, d'accord? »

Un nuage de farine entra en éruption. La tête de Dante en émergea, sa peau sombre rendue crayeuse par la poussière blanche.

« D'accord! Ferme bien derrière toi et…

- Et je garde la clé autour de mon cou, finit Béatrice pour lui. Je sais, Dante. A tout à l’heure ! »

Elle traversa la boutique en sautillant, jetant un œil de part et d'autre pour s'assurer que les pâtisseries, viennoiseries et autres douceurs étaient sagement alignées derrière leurs vitrines. La clochette tinta une fois quand elle ouvrit la porte, et une fois quand elle la ferma derrière elle. Après s'être assurée qu'elle était bien verrouillée, Béatrice s'engagea dans la rue piétonne en direction du parc. Cela rallongeait un peu son trajet, mais elle ne résistait pas au plaisir de longer les allées d'érables dont les feuilles roussissaient à vue d'œil.

La bibliothécaire l'accueillit avec un clin d'œil qui plissa encore plus son visage fripé comme un croissant bien touré.

« Bonjour Béatrice! Je t'ai déniché une petite pépite…

- Merci Eleanor, mais je ne fais que passer aujourd'hui! Promis je reviens demain après la fermeture de la boutique.

- Bon, bon, chevrota Eleanor, je garde ma trouvaille au chaud pour toi. »

Béatrice se dirigea droit vers l'escalier qui tournicotait à côté du bureau de la bibliothécaire. Avec le temps, elle avait apprivoisé ses marches en fer forgé qui grinçaient à peine à son passage. Au deuxième, elle poussa de toutes ses forces le lourd battant qui gardait la section « Loisirs créatifs » et l'odeur familière d'encre et de vieux papier l'enveloppa comme pour lui souhaiter la bienvenue. Elle adressa un signe de la main silencieux au bibliothécaire en faction qui le lui rendit agrémenté d'un sourire, et fila au rayon « Art culinaire ». Le volume qu'elle cherchait était sur le rayonnage du haut, mais par chance l'escabeau n'avait pas bougé depuis sa dernière visite. Elle localisa l'épais volume relié d'un tissu rêche presque aussi foncé que sa peau, et le fit glisser de l'étagère avant de l'amener à une table où l'attendait un reposoir.

« Alors, murmura-t-elle à l'attention du grimoire, où caches-tu cette recette de crème diplomate, déjà? »

Elle feuilleta les premières pages à la recherche du sommaire, puis les dernières, mais elle n'étaient recouvertes que d'un texte en continu, sans le moindre plan ni numéro de page. Béatrice souleva la couverture, vérifia le titre (Pâtisser, c'est pas sorcier) et fit défiler les feuillets le plus vite que la prudence lui permettait.

« Ça alors, reprit-elle sur le même ton. J'étais pourtant sûre d'avoir consulté une recette ici. J'ai dû confondre avec un autre titre. »


Le volume laissa échapper un petit nuage de poussière quand elle le referma. Béatrice repartit vers le rayon où l'attendait l'escabeau, hissa Pâtissier c'est pas sorcier vers son emplacement et le rangea. Elle parcourut la section à la recherche du titre qu'elle cherchait : La magipâtisserie à travers les âges, Secrets des grands magipâtissiers, Grimoire de magipâtisserie... À défaut de reconnaître le livre qu'elle avait consulté la dernière fois, elle sélectionna Mille et une cuisineries et l’ouvrit sans même descendre de son perchoir. Elle connaissait bien ce manuel pour l'avoir étudié en long, en large et en travers quand elle préparait son diplôme de magipâtissière. Elle poussa un petit cri de surprise en constatant que là aussi, les recettes en colonnes bien ordonnées, illustrées de gravures alléchantes, avait été remplacées par des lignes sans fin de texte en petits caractères sans le moindre espacement ni le moindre grammage. Béatrice parcourut quelques lignes au hasard d'une page et ne put retenir un hoquet de surprise en constatant que la même phrase se répétait à l'infini : “Il était une fois un garçon du nom de Tristan”. Béatrice referma le livre un peu brusquement, le replaça et sortit à nouveau Pâtissier, c'est pas sorcier. Elle appuya sa tranche sur la rambarde de l'escabeau pour libérer une de ses mains, et ouvrit le volume. Les recettes n'y avaient pas réapparu. À la place, la même phrase courait du haut en bas de chaque page : “Il était une fois un garçon du nom de Tristan”.


A dark umbrella, hiding its owner, with a blurry building in the background.
 

Ce texte a été écrit en suivant l'inspiration fournie par Susan Dennard et son défi d'écriture du mois d'avril. Une idée voletait dans un coin de ma tête depuis un bout de temps, et je voulais la garder pour le NaNoWriMo en novembre, mais l'ambiance sonore d'une vieille bibliothèque a eu raison de moi. L'occasion était trop belle. Je vous présente ici une version inachevée. Le style, notamment, est appelé à changer radicalement d'ici le projet final, mais je voulais archiver ici une version de l'histoire pour vous la donner à lire et vous permettre de constater la différence quand (si) je la poursuivrai.


© Marie Bretagnolle 2021


Crédit photo : Austin Ban via Unsplash

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