En février, j'ai continué sur ma lancée de lire dans tous les genres et tous les formats. Cela donne un bilan très hétérogène, mais avec pour fil rouge des styles puissants et des textes qui ne laissent pas indifférent.e.s.
Possession, A.S. Byatt · 1990
Je ne sais pas exactement ce que je viens de lire mais waouh, ce livre est quelque chose.
On y suit, dans les années 1980, plusieurs chercheurs en littérature qui enquêtent sur un célèbre poète (fictif), Randolph Henry Ash, et ses mystérieuses relations avec son entourage. Il s'en suit un roman "dark academia" intensément lyrique, écrit à la lumière de la poésie victorienne, du désir et de l'expression des choses qui refusent d'être enfermées dans des mots.
A.S. Byatt arrive à créer des poètes fictifs du 19e siècle qui interagissent avec des noms restés célèbres dans l'histoire, à composer les poèmes de ces poètes, et à écrire des pages de recherche universitaire étudiant ces artistes et leurs œuvres. C'est ébouriffant. Sa prose très littéraire m'a parfois un peu perdue, mais j'ai une admiration profonde pour ce que l'autrice a réussi ici. Elle mêle deux temporalités (celle des poètes et celles des chercheurs) dans une myriade de formes littéraires incluant le roman, la poésie, la correspondance épistolaire (et quelles lettres!). Ses personnages sont nuancés, de même que leurs relations qui ne sont pas définies clairement pour laisser la place à l'interprétation. L'atmosphère purement anglaise est tactile, et rien que la description d'une salle de bain kitschissime vaut le détour.
Rep : personnage polyamoureux, personnages aro / ace (avec une fin plutôt frustrante mais je ne dévoilerai pas les dernières pages).
CW : attitude sexiste envers les femmes au 19e siècle.
The Wilful Princess and the Piebald Prince (Le Prince Bâtard), Robin Hobb · 2013
Êtes-vous parfois frustré.e de ne pas en savoir plus sur un monde de fiction que vous aimez? Robin Hobb a la solution pour les Six Duchés. Dans la trilogie Tawny Man (L'Assassin Royal, tomes 7 à 13), sans rien divulgâcher de l'histoire, les personnages font régulièrement référence à la figure légendaire du Prince Pie, sans que sa vie ne soit jamais racontée entièrement. Dix ans après la publication du dernier tome de la série, l'autrice a fait paraître cette novella double, qui explore l'histoire derrière le conte populaire. Bien que le Prince soit au cœur des enjeux de Tawny Man, son récit commence avec une princesse téméraire dont le destin nous est raconté dans la première moitié de ce petit livre orné d'illustrations en noir et blanc de Jackie Morris.
Cela ne vous surprendra pas d'apprendre que j'adore cet ajout à l'univers des Anciens. Robin Hobb raconte ces deux personnages dans un style oral assez différent de celui auquel elle a habitué ses lecteurices, avec le rythme d'un ménestrel et les mises en garde ponctuelles de la narratrice. Grâce à ce petit volume méconnu, on en apprend plus sur les Six Duchés et ses habitants, et bien que l'on puisse apprécier Tawny Man sans le connaître, je vous recommande chaudement de le lire avant ou après cette trilogie pour en faire durer le plaisir.
Rep : femme lesbienne, personnage défiguré.
CW : mort d'un animal (décrite).
Féro(ce)cités, collectif · 2021
Projets Sillex nous convie à un périple aux côtés de compagnons de tous poils et plumes dans ce recueil haut en couleur. Des histoires captivantes servies par des styles variés mais toujours ciselés. Un régal, même si le genre de départ n'était pas ma tasse de thé!
J'ai eu le plaisir de lire trois de ces histoires avant la parution du recueil (l'éditeur m'a envoyé un livret, mais j'ai payé le volume final de ma poche) et j'ai été impressionnée par leur qualité, si bien que j'ai été encore plus heureuse de découvrir que les autres histoires de ce livre étaient de même qualité!
CW: une longue liste d'avertissements de contenu est fournie dans le livre.
Artémis, Andy Weir · 2017 (2018)
Après que Seul sur Mars d'Andy Weir est devenu un nouveau favori l'an dernier, j'avais très envie de lire autre chose de cet auteur, et j'ai donc profité de l'anniversaire de mon père pour lui offrir Artémis et lui piquer une fois qu'il l'a terminé. Je l'ai lu à un moment où j'avais besoin de pur divertissement et d'échappatoire, et Artémis ne m'a pas déçue. Ce livre fait preuve du même optimiste farouche et du même rythme que Seul sur Mars, avec un focus plus large étant donné qu'il nous présente un personnage principal qui interagit avec un groupe d'alliés, plutôt qu'un personnage isolé sur une planète sans espoir de survie.
L'héroïne d'Artémis, Jazz, est née sur Terre, en Arabie saoudite, mais elle a émigré sur la Lune très jeune et n'a pas l'intention de remettre les pieds sur Terre. Elle s'est éloignée de son père après des choix de vie très discutables, et survit comme coursière entre les différents dômes d'Artémis, la colonie humaine sur la Lune. Quand un contact l'embauche pour un boulot dangereux qui pourrait mettre un terme à ses difficultés financières, elle n'hésite pas longtemps. Mais bien sûr, les choses ne suivent pas le cours prévu, Jazz se retrouve avec une cible dans le dos.
Ce livre était du pur divertissement, et j'ai été agréablement surprise d'y trouver tant de personnages divers. Je ne m'y suis pas attachée émotionnellement comme j'ai pu le faire pour Mark dans Seul sur Mars, mais c'était notamment parce que le scénario allait plus loin que la seule survie d'une personne dont la moindre action peut causer la mort. Artémis a parfois une atmosphère de braquage, ce qui était parfait étant donné que j'avais envisagé de relire Six of Crows pour me réconforter. J'ai adoré voir une louve solitaire puis un groupe de personnages mal assortis élaborer un plan moins que parfait et le mettre en œuvre. Je ne pense pas qu'Artémis soit meilleur que Seul sur Mars, mais j'ai hâte de lire le troisième livre de Weir, Projet Dernière Chance.
Rep : PP d'Arabie saoudite, personnages racisés et parfois queer, un personnage handicapé.
Steering the Craft (Conduire sa barque), Ursula K. Le Guin · 1998
Steering the Craft n'est pas un livre sur l'écriture créative en général, sur la motivation ou la manière d'arriver au bout d'un premier jet de roman. C'est un manuel sur le langage, comment apprendre ses règles pour mieux les briser ensuite et se forger son propre style. Ursula K. Le Guin parle de ponctuation, de grammaire et de syntaxe avec une voix claire et espiègle qui m'a ravie. Chaque chapitre est court et va droit au but, et s'accompagne d'exercices d'écriture qui se focalisent sur la technique plus que sur les idées, ainsi que de points à discuter avec un éventuel groupe d'écriture. Tous ces points font de Steering the Craft un nouvel essentiel sur mon étagère de livres consacrés à l'écriture, un volume vers lequel je suis sûre de me tourner régulièrement, et en particulier au moment de réviser un manuscrit.
What is not yours is not yours, Helen Oyeyemi · 2016
La première histoire de ce recueil donne le tournis par sa complexité, avec ses arcs narratifs qui se croisent et s'entrecroisent, s'éloignent et s'approchent, ses personnages qui se mêlent et ses descriptions atmosphériques. Chacune des nouvelles invite à être étudiée, explorée, disséquée, tout autant qu'elle invite à être admirée pour la beauté éclatante de sa prose et de son symbolisme. J'avais l'impression de marcher le long d'un couloir baroque et de remarquer des douzaines de portes entrouvertes de part et d'autre. Je ne pouvais pas tourner la tête pour voir ce qui s'étendait au-delà, mais je savais que de nombreuses salles tout aussi somptueuses m'attendaient si je m'écartais un tant soit peu du chemin narratif principal.
L'écriture d'Oyeyemi a cette qualité hypnotique qui faisait que je n'avais pas toujours une conscience claire des choses que je lisais. C'est vraiment difficile à décrire. Je lisais une chose, et sans que je m'en aperçoive, le focus se déplaçait et je me trouvais à lire une chose totalement différente. Je n'ai pas réussi à garder trace de la plupart des avertissements de contenu, par exemple. Je suis désolée de cet avis très brouillon, mais ce recueil est un défi, dans le bon sens du terme.
Rep : personnages principaux queer (bi, lesbiennes, gays), personnages racisés.
CW : maladie en phase terminale. Mentions de suicide et de troubles de l'alimentation.
Adrastée, Mathieu Bablet · 2016
Un roi millénaire, souverain d'Hyperborée, part en quête de réponses dans cette bande-dessinée philosophique et nostalgique de Mathieu Bablet. Des paysages à donner le tournis se déploient sur les pages dans des camaïeux d'une grande subtilité. Les dialogues, réduits au minimum, laissent la pensée vagabonder au fil du périple de ce personnage sans nom, qui croise sur son chemin divinités, esprits et humains qui lui renvoient une image kaléidoscopique de lui-même et des habitants de la terre. Certains passages évoquent Le Roi et l'Oiseau de Paul Grimault et Jacques Prévert, d'autres The Fountain de Darren Aronofsky (et quand j'ai mentionné cela sur Twitter, l'auteur-dessinateur m'a confirmé que c'était une de ses inspirations!).
CW : deuil, maladie, sang, sacrifice d'animaux.
Pour des avis plus fréquents sur mes lectures, je vous invite à aller faire un tour sur mon compte Instagram (il n’est pas obligatoire de s’inscrire) : https://www.instagram.com/mariebreta/.
Qu'avez-vous lu en février?
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