Juillet a marqué le retour de mon défi de lecture de Pile à Lire! Je me suis donc empressée de dénicher dans mon chariot des titres correspondants au catégories suivantes :
Le résultat ? J'ai effectivement découvert d'excellents livres qui m'attendaient dans ma Pile à Lire, et j'ai confirmé l'impression que certains n'allaient pas forcément me plaire. Qu'à cela ne tienne, ils ont désormais quitté mon chariot à livres pour d'autres aventures.
Dreamer’s Pool, Juliet Marillier · 2014
Blackthorn est en prison depuis presque un an, pour le seul crime d’avoir aidé d’autres femmes à combattre leur oppresseur. Son jugement est proche, mais ses chances sont maigres. Alors, quand elle reçoit la visite de Conmael, qui n’est clairement pas un humain mais un fae, elle passe un marché avec lui. En échange de sa liberté, elle doit passer sept ans loin du lieu de son tourment et aider quiconque lui demandera. Bien que cela ressemble, à ses yeux, à un autre type de prison, elle n’a pas vraiment d’autre choix que d’accepter. Le soir même elle est libérée et prend la route du nord où elle s’établit comme herboriste (wise woman en anglais, mais pas limité au rôle de sage-femme). Avec elle se trouve Grim, un autre prisonnier avec une conscience trop aiguë et une source sans fin de loyauté pour Blackthorn. Les ennuis ne sont jamais loin, cependant, en particulier quand la chaumière dans laquelle iels s’installent est tout proche de Dreamer’s Pool. Ce lieu chargé de magie se trouve sur les terres du Prince Oran, qui rencontre sa promise après des échanges de lettres chargées d’amour. Or, la dame qui arrive à son domaine semble être une toute autre personne et Oran se trouve tiraillé entre le cœur et le devoir.
Ce roman, qui se déroule dans une Irlande médiévale, combine une prose élégante et des études de personnages fouillées. Pas d’action effrénée ici, ni de descriptions de combats violents. Cependant, le récit mêle l’ombre et la lumière, car il traite longuement des violences faites aux femmes et de la détermination de plusieurs personnages à y mettre fin, si bien que malgré quelques passages difficiles, c’est une histoire optimiste.
Je suis si heureuse d’avoir rencontré Blackthorn et Grim. Ce sont des personnages tout en nuances, avec leurs qualités et leurs défauts. Blackthorn en a sa claque des gens et des hommes en particulier, mais elle est aussi prête à voir le bon en eux. Grim est un ours avec un cœur coulant de miel que je n’avais d’autre choix que d’aimer de tout mon propre cœur. La légère ambiance queer était charmante, car les deux forment une relation platonique qui a fait chanter mon âme.
Je cherchais un livre qui prendrait son temps et me laisserait passer un long moment avec des personnages attachants. C’est exactement ce que Juliet Marillier m’a donné. Elle m’avait été recommandée encore et encore, et maintenant je sais pourquoi. Je n’ai pas commencé avec le premier livre, Daughter of the Forest, qui sonnait un peu plus conte de fées, mais ce n’est pas un souci car ils peuvent se lire dans le désordre. Certains personnages font une apparition dans d’autres tomes mais cela ne divulgâche pas leur histoire.
Rep : Blackthorn et Grim sonnaient tout à fait asexuels ou au moins demisexuels, mais étant donné le contexte historique aucun mot n’était utilisé.
AC : confinement, mention de viol, souvenirs et discussions de violence sexuelle, kidnapping, incendie.
Du Sel sous les paupières, Thomas Day · 2012
Judicaël est un voleur à la petite semaine dans les rues de Saint-Malo. On est en 1922 et la France se remet encore difficilement de la guerre, étouffée par une chape de brume qui ne se lève jamais. Dans ce paysage gris, Judicaël croise le regard de Madchen et tout change. Son quotidien passe de la survie à une course pour retrouver la trace de la vendeuse de fleurs en papier, une quête au cours de laquelle il croise la route d'un robot tout droit sorti du Château dans le Ciel de Miyazaki, ou d'elfes comme ceux qui peuplent les légendes celtiques.
Ce roman, que j'ai sauvé un peu par hasard du pilon de la médiathèque, m'avait intrigué par la poésie qui semblait s'en dégager (d’après la quatrième de couverture). J'ai finalement découvert une histoire un peu foutraque, qui aborde beaucoup de sujets sans vraiment les approfondir. J'ai apprécié le mélange de l'Histoire, du folklore irlandais et de la science-fiction mais j'ai trouvé les relations entre les personnages assez basiques, le cœur de l'histoire étant le sauvetage d'une jeune fille en détresse pour laquelle le héros a eu le coup de foudre en lui parlant 30 secondes. Jeune fille qui se trouve frappée d'une terrible maladie pour bien affirmer sa détresse. Les autres personnages sont tous des hommes, et les quelques femmes qui font une apparition sont décrites en fonction de leur poitrine. C'est peut-être un détail, mais cela a tendance à peser sur mon expérience de lecture. Le personnage principal est certes nuancé, avec ses zones d'ombre, mais j'ai eu du mal à le cerner car il semblait changer d'avis en fonction de la situation. J'aimerais trouver plus de points positifs pour décrire ce livre mais la vérité, c'est que je l'ai terminé seulement parce qu'il était court.
AC: grossophobie, maladie terminale.
La Mer de la Tranquillité, Emily St John Mandel · 2022
Le troisième fils d’une famille riche qui cherche un but à sa vie dans les terres lointaines du Canada au 19e siècle, une jeune fille dans une forêt d’un monde pré-pandémie et une autrice en tournée qui est saisie par le spectacle d’un violoniste dans un terminal aérien, se trouvent lié.e.s par une expérience commune : un accroc dans la réalité, une seconde pendant laquelle l’obscurité les engloutit et iels perçoivent des échos d’autres réalités.
Ce livre! Ce. Livre.
Je suis très tentée de laisser mon avis sur ces quatre mots, parce que… Qu’ajouter? Ce livre est superbe, il m’a fait remettre en question mes capacités d’écrivaine, il fait en une page ce que d’autres livres font en plusieurs chapitres, et pourtant il ne se précipite jamais. J’ai pitié des personnes chargées de le traduire, qui vont devoir concentrer tant d’informations en si peu de mots, tout en gardant la fluidité parfaite des phrases et le rythme global du roman. Une masterclasse d’écriture.
Ce ne sera pas un spoiler car c’est littéralement dans la liste des chapitres au début du livre : la structure est la même que dans Cloud Atlas. Je n’en dirai pas plus, car si vous savez, vous savez. Ce n’est pas une structure que j’ai rencontrée souvent en littérature, mais quand elle est bien faite elle est incroyablement efficace.
Et quand je pensais que ce livre ne pouvait pas faire encore mieux, la dernière ligne a résumé un projet d’écriture que j’ai depuis des mois.
Lisez La Mer de la Tranquillité (qui sort bientôt en français) si vous cherchez une histoire calme et émouvante de voyage dans le temps qui vous fera languir pour quelque chose d’indéterminé. Emily St John Mandel écrit de la SF comme si c’était de la littérature blanche, en prenant le meilleur des genres pour nous servir ce joyau.
Rep : personnage bisexuelle dans un monde inclusif.
AC : pandémie.
Meditations on Middle-earth, édité par Karen Haber · 2001
Ce recueil d’essais rassemble des voix américaines bien connues de la fantasy pour parler de l’héritage de Tolkien. Nombre d’entre elles racontent le moment et les conditions de leur découverte du Hobbit et du Seigneur des Anneaux. Certaines prennent un chemin un peu différent, comme Ursula K. Le Guin qui vante la poésie de Tolkien, ou Douglas Anderson retraçant la réception des textes de J.R.R. et Christopher Tolkien.
Bien que ce recueil ne soit pas révolutionnaire, je le trouve fascinant à plusieurs degrés. D’abord, la plupart des auteurices présent.e.s écrivent de la fantasy (quelques-un.e.s de la SF également) et expliquent l’importance que revêt Tolkien pour elles et eux en tant que lecteurices, mais surtout en tant qu’écrivain.e.s. Ensuite, c’est un instantané de la réception de Tolkien juste avant la sortie des films de Peter Jackson. Seul un texte, celui de Douglas Anderson, en fait mention, mais je trouve que c’est important. La plupart des auteurices de ce recueil ont découvert Tolkien dans les années 1960, et il est merveilleux de lire leur expérience à cette époque, quand la fantasy n’était pas aussi répandue et rencontrer d’autres fans n’était pas aussi simple que de cliquer sur l’icône d’une application.
Le Tendre narrateur, Olga Tokarczuk · 2020
Ce tout petit volume rassemble trois textes de l’autrice polonaise. Le premier est le discours qu’elle a prononcé en 2019 lorsque le Prix Nobel de littérature lui a été attribué. Le deuxième est un essai sur la traduction, et le troisième un court texte sur le confinement de 2020 et la pandémie.
Difficile de résumer des essais, si courts soient-ils. Je m’attendais à autre chose, c’est vrai, en lisant le premier : le concept de “tendre narrateur” m’intriguait, et j’espérais un développement plus conséquent sur la notion telle que l’autrice l’entend. En réalité, c’est la conclusion de ses pensées sur l’information et la désinformation, l’autofiction, la distinction entre les différents genres littéraires, la place de la littérature dans notre monde contemporain et d’autres thèmes très vastes qu’Olga Tokarczuk aborde avec beaucoup de clarté. Je suis désormais curieuse de lire la fiction de cette autrice.
Impressions & Impressoes, Emilio Morais · 2023
Ce recueil polymorphe rassemble de la prose et de la poésie, arrangées par thème, en français puis en portugais. L'auteur commence par un texte sous la forme d'un flux de pensées, consacré à des thèmes aussi variés que "l'écume de la vie" ou "les abeilles", puis il compose un poème sur le même sujet. La première moitié du recueil est en français, et la seconde reprend les mêmes textes, en portugais.
Bien que je lise peu de poésie, je me suis surprise à préférer les vers, bien qu’un peu scolaires et tordant parfois les phrases pour placer le mot qui permet la rime à la fin des lignes. Les parties en prose m’ont semblé un peu froides. Elles dressent le contexte des poèmes, comme si ceux-ci nécessitaient une explication fondée sur des faits confirmés par la science ou l’expérience humaine. J’aurais préféré lire des interprétations plus personnelles de chaque thème. J’ai finalement eu l’impression que l’auteur était d’une grande timidité et se cachait derrière des généralités. J’espère qu’il prendra peu à peu confiance et se révèlera dans ses futurs recueils.
The Wind in the Wall, Sally Gardner & Rovina Cai · 2019
Cet album absolument superbe raconte une histoire de serres, d’oiseaux rares et de rivalité entre jardiniers. En quelques dizaines de pages, l’autrice et l’illustratrice tissent un conte gothique plein de non-dits. Certaines personnes pourront regretter la quantité de mystères non résolus à la fin, mais j’ai adoré. L’écriture est évocatrice, avec la juste dose de suranné, et les illustrations sont à la fois sombres et d’une légèreté de plume. Après avoir admiré l’art de Rovina Cai pendant des années, je suis ravie de posséder un de ses livres. La prose de Sally Gardner s’en fait le parfait contrepoint. Cet album est désormais l’un des joyaux de ma collection. Je crois qu’il serait parfait pour un jour d’automne pluvieux.
84, Charing Cross Road, Helene Hanff · 1971
Ce livre est un rêve de bibliophile. Il était sur mon radar depuis des années, je l’ai enfin lu et je n’ai pas arrêté de pouffer de rire. Ce petit volume retrace la correspondance entre Helene, écrivaine new-yorkaise, et les employé.e.s d’une librairie d’occasion à Londres, pendant 20 ans d’échanges truculents. J’ai dû vérifier que ces lettres étaient bien réelles, car elles semblent trop drôles et touchantes pour être vraies, mais c’est le cas! Et pour des lettres écrites dans les années 1950 et 1960, elles montrent que la bibliophilie ne passe jamais de mode. Hanff est hilarante, et ses lettres enflammées (de passion ou de colère) sont vraiment uniques. Si vous aimez les livres, en particulier d’occasion, lisez celui-là!
Dans mon édition, la correspondance est suivie d’une sorte de suite, le journal d’Helene lors de son voyage à Londres en 1971. Je n’ai pas trouvé cette section aussi charmante, mais elle était quand même plaisante et m’a aidée à sortir de la partie épistolaire en douceur.
No Sex Club, Betty Piccioli · 2023
(Livre envoyé via NetGalley par l’éditeur en échange d’un avis honnête)
Alan entrent Tilda entrent en première après un été qu’ils considèrent comme un échec. Malgré les injonctions, iels sont toujours vierges et s’apprêtent à subir les brimades du reste de leur classe pendant l’année. Lors du premier cours, débarque Acérola, la nouvelle. Son style bien à elle la place un peu à l’écart, mais c’est le pin’s en forme de drapeau qui attire l’attention d’Alan et Tilda : les rayures noire, grise, blanche et violette qui signalent l’asexualité. Très vite, la discussion s’installe entre les trois camarades de classe, et se dessinent les contours d’une autre voie, celle qui ne fait pas du sexe l’étape de passage obligatoire pour assurer sa place dans la société.
Où était ce livre quand j’étais au lycée? Dans ce Loveless à la française, Betty Piccioli nous emmène à Nantes où ses deux protagonistes construisent une équipe et un projet pour éveiller les consciences. Ce roman équilibre parfaitement pédagogie et émotions. J’ai eu des frissons en le terminant, tant il me donne espoir. Au lycée, j’étais globalement ignorée des harceleurs et harceleuses car en tant que première de la classe je pouvais leur être utile pendant les travaux de groupe ou à l’heure des révisions, mais j’ai ressenti tout du long cette impression d’être à côté de la plaque. Si j’avais eu un livre comme No Sex Club, je n’aurais quand même pas eu le courage de me lancer dans l’aventure d’un club, mais j’aurais été apaisée et j’aurais sûrement compris mon asexualité bien plus tôt qu’en réalité. Un roman inclusif, qui n’aborde pas seulement le double thème de l’asexualité et l’aromantisme mais plutôt l’ensemble des relations amoureuses et sociales.
Les personnages sont très attachants ; j’ai adoré les découvrir au fil des pages et les voir s’épanouir. Iels font des erreurs, après tout ce ne sont que des lycéen.ne.s, mais cela rend l’histoire d’autant plus réaliste et touchante. J’espère que ce livre trouvera sa place dans tous les CDI de France et d’ailleurs.
Rep : protagoniste gay, protagoniste asexuelle, protagoniste noire et grosse.
AC : acephobie, harcèlement, injonction au sexe et harcèlement sexuel.
Les Rêves qui nous restent, Boris Quercia · 2021
Dans ce roman de SF noir entre Blade Runner et Black Mirror avec une touche d’Assasynth, Natalio, un policier au bas de l’échelon accepte une mission dangereuse de la part d’un client entre deux affaires officielles. Son électroquant a été détruit lors de sa précédente affectation, et Natalio ne peut se payer qu’un modèle d’occasion dont les réparations ont un air douteux. L’androïde confirme ses soupçons en réagissant différemment des autres robots, mais Natalio n’a ni le temps ni les moyens de s’en soucier.
Ce roman n’est peut-être pas d’une grande originalité, mais il est efficace. Il navigue entre les tropes empruntés ici et là pour proposer un récit avant tout centré sur le duo formé par ce policier constamment à la frontière de la légalité, et son robot qui l’invite à questionner son rapport à la machine. L’auteur aurait pu se lancer dans un grand récit philosophique sur la relation humain-robot, ou sur la déshumanisation de / par la technologie, ou sur les complots qui gangrènent cette société dystopique. Au contraire, il privilégie les personnages et leurs questions, sans apporter de réponse toute faite. Il m’a manqué un brin d’originalité, mais on peut voir une qualité dans la manière dont l’auteur rend son récit assez universel.
AC : violence, armes à feu, courte scène d’automutilation et d’anthropophagie.
Quelqu'un se souviendra de nous, Nadège Da Rocha · 2023
Pandore, Méduse, Arachne,... Ces femmes qui n'apparaissent dans les mythes grecs que pour se faire agresser. Dans ce roman, l’autrice reprend leur histoire après la fin que racontent les mythes, et imagine la suite. Cette suite, pour Pandore, est une vengeance. Pour elle et pour toutes les autres, elle est déterminée à faire payer les dieux, en particulier Poséidon et Zeus. Dans son périple pour se munir de la seule arme réputée pouvoir les tuer, elle rallie à sa cause d’autres femmes, celles-ci qualifiées de monstres, et toutes les trois se mettent en marche vers l’Olympe.
J’ai aimé que ce roman ne s’excuse pas et mette en scène la fureur de ces femmes, mais aussi leur sororité. L’alliance de la violence et de la douceur s’équilibre très bien et apporte de la nuance au récit. J’ai été, c’est vrai, décontenancée par la rapidité de l’action, mais cela tient seulement à mon manque d’habitude des romans ado. Ce roman a lancé un pont entre la collégienne passionnée de mythologie que j’étais et l’adulte positivement épuisée et “vénère”, pour citer Taous Merakchi, face aux violences que les femmes ont toujours subi et continuent de subir.
En somme, j’ai adoré le projet de ce livre et ses intentions, un peu moins son exécution mais pour cette dernière, c’est vraiment purement personnel, pas une critique.
Rep : ensemble de personnages queers et divers.
AC fournis au début du livre : araignées, serpents, violence, anxiété, SSPT, mort, mentions de suicide et de viol.
Solaris, Stanisław Lem · 1961 (1966)
Kelvin, notre protagoniste, est en route pour la Station, un centre de recherche en orbite autour de Solaris, une planète au comportement plutôt inhabituel. Depuis des dizaines d’années, des scientifiques l’observent et dressent des hypothèses, sans jamais comprendre le secret de cette planète qui semble consciente. L’équipe à bord de la Station ne compte plus que deux membres lorsque Kelvin y arrive, mais ceux-ci ne sont peut-être pas les seuls habitants…
Une bibliothécaire m’a mis ce livre entre les mains en me disant que c’était de la SF contemplative, quand je lui ai demandé conseil pour des livres dont la langue d’origine n’était ni le français ni l’anglais (voir mon défi #LisonsCettePaL). Je peux tout à fait confirmer qu’il est contemplatif, ce que j’ai apprécié. La moitié du récit se concentre sur les personnages, leurs relations, et leurs combats intérieurs face à un phénomène pour le moins fantastique. Cependant, la deuxième moitié est très orientée science, et mon esprit littéraire n’était pas prêt pour de longues descriptions de l’histoire de la science autour de Solaris. Mon aphantasie (incapacité de produire des images mentales) n’était pas non plus prête pour les longues descriptions de la géographie changeante de la planète. Cependant, ces problèmes sont tout à fait personnels et, bien qu’ils m’aient empêchée d’apprécier complètement ce livre, il ne reste pas moins que c’est un bon exemple de science-fiction classique. Il n’est pas dépourvu de considérations restées dans les années 1960 concernant le genre et la diversité (il y a une scène très gênante au début, qui heureusement n’est pas mentionnée ensuite), mais il est créatif et remarquablement vraisemblable pour un récit écrit huit ans avant que l’homme ne pose le pied sur la Lune.
Sachant que bien des éléments de ce livre m’ont échappé, je recommande la chronique postée récemment sur son blog par Marc Ang-Cho. Elle est éclairante!
TW: suicide.
Les Graciées, Kiran Millwood Hargrave · 2020
En 1617, près d’une île jouxtant la Norvège, une vague de proportions inégalées emporte la plupart des hommes du village de Vardø. Les femmes trouvent moyen de survivre, même si certaines se détournent pour cela de la bienséance. Leur communauté est unie par le deuil plus que par toute autre chose, mais reste divisée par l’importance que chaque femme accorde au christianisme, la religion importée qui contredit le mode de vie Sámi partagée par plusieurs habitantes. Malgré cela, Vardø tient bon. Jusqu’au jour où arrive Absalom et sa femme Ursa. Il est chargé de restaurer l’ordre religieux et de mettre un terme à la propagation de la magie. Ursa, quant à elle, fait de son mieux pour s’adapter à sa nouvelle vie auprès d’un mari qu’elle n’a pas choisi.
Ce roman, dans la plus belle tradition de la fiction historique, donne corps et émotions aux silhouettes anonymes des livres d’histoire. Les personnages sont nuancés et bien que l’action ne se précipite pas, le récit a une intensité et une tension qui se reflètent dans le paysage hostile et le vent qui cingle cette terre nue. Le style d’écriture est concis mais superbement complexe : il prend des directions inattendues sans user de mots sophistiqués ni essayer de copier un style historique.
Ce roman furieusement féministe ne place pas les femmes sur un piédestal mais montre plutôt les multiples façons dont chacune gère son deuil et envisage sa place dans la société, avec ses qualités et ses défauts. Quand j’ai entendu parler de ce livre, je croyais que c’était une sorte d’utopie historique, qui décrivait un moment d’harmonie pendant lequel des femmes avaient vécu sans hommes. Ce n’est pas le cas. Il y a de la tension et des conflits, qui le rendent d’autant plus réaliste. Je trouve que c’est un roman fabuleux qui donne à voir l’histoire telle qu’elle est vécue autrement que par de riches hommes blancs.
Rep : personnages sapphiques.
AC : douleur et mort d’animaux (notamment une baleine échouée et une scène de pêche), deuil, violence sexuelle, meurtre de femmes au nom de la religion.
Aucune femme au monde, Catherine Lucille Moore · 1944
La divine star Deirdre est morte. Un terrible accident de scène lui a coûté la vie, et le monde est en deuil. Mais a-t-elle vraiment disparu ? Harris, scientifique de son état, est en route pour retrouver son collègue Maltzer, qu'un projet a tenu éloigné pendant un an. Lorsque Harris retrouve son ami, il ne s'attend pas à entendre de nouveau résonner la voix de Deirdre.
Cette novella d'anticipation parue initialement en 1944 prouve une fois de plus que les femmes n'étaient pas absentes du terrain de la science-fiction. Dans ce court texte qui fonctionne presque en huis clos, les personnages se trouvent confrontés aux limites de l'humanité et de la machine. Ces scientifiques, des hommes, font face à cette femme d'un genre nouveau, ressuscitée tout autant qu'elle est créée, et qui ne compte pas rester sous leur coupe.
Ce texte amène à réfléchir sans noyer son lectorat sous une avalanche de détails scientifiques. C'est la littérature spéculative par excellence, qui pose un "et si ?" et regarde les personnages se dépêtrer avec les conséquences.
AC : validisme.
Les Âmes croisées, Pierre Bottero · 2010
Nawel grandit parmi les autres Aspirants de la riche cité d’AnkNor. Dans le cocon privilégié de la ville haute, elle ne connaît que ses semblables les Perles, membres de l’élite, tandis que les Cendres occupent la ville basse et se chargent des basses besognes. Le jour de la cérémonie la plus importante de sa vie approche : Nawel va être appelée à choisir la caste qu’elle veut rejoindre, et accepter la décision qu’elle recevra. Historienne, Gouvernante, Prêtresse, … L’équilibre entre les neuf castes assure la pérennité de la cité, tandis que la dixième, celle des Armures, est environnée d’une aura de mystère. Nawel, sûre de son statut, promène son arrogance dans la ville Cendre quand elle est responsable d’une tragédie. S’ouvre alors devant elle un chemin qui ne suit pas les traces proprement délimitées par des années de bonne conduite.
Enfin! Après avoir bataillé pour lire trois trilogies de Pierre Bottero en râlant, j’ai enfin trouvé un roman de sa plume que j’aime. Pour la petite histoire, celui-ci m’a été offert avec la recommandation de lire les autres auparavant pour en profiter pleinement, d’où mon acharnement. Au final, le lien est ténu car la série que devait ouvrir Les Âmes croisées a malheureusement été interrompue par le décès de l’auteur. Je trouve néanmoins que ce roman, s’il s’ouvre sur de nombreuses promesses, est satisfaisant pour lui-même grâce à l’art narratif de Nawel.
Je n’avais pas beaucoup de sympathie pour l’héroïne au début du roman, si sûre de son statut et de ses privilèges au point d’en devenir dangereuse, mais son évolution s’est révélée un plaisir à suivre. Contrairement aux autres romans de l’auteur, centrés sur l’action et des personnages aux capacités peu vraisemblables, j’ai aimé ici le rythme plus calme et l’attention portée à la psychologie des personnages, qui sont nuancés et crédibles. Les sous-thèmes queers sont discrets mais bien présents, que ce soit à travers les personnages secondaires ou à travers l’héroïne elle-même, aromantique jusqu’au bout des ongles bien que le terme ne soit jamais employé, et potentiellement asexuelle également.
La lecture de ce roman a été un véritable soulagement pour moi, tant j’étais déterminée à l’aimer mais incertaine après un périple compliqué de neuf autres livres.
Enfin, je suis sous le charme de cette couverture de Noémie Chevalier !
AC : classisme, suggestion de violence policière.
Some Desperate Glory, Emily Tesh · 2023
Kyr est une enfant de la Terre. Ou plutôt, de Gaea. La Terre est morte, détruite, et peu importe combien Kyr s’entraîne dans les simulations, rien ne peut la ramener. Sur Gaea, les rescapé.e.s de l’humanité - celles et ceux qui n’ont pas pris le parti des aliens - survivent avec peu de ressources et une discipline sans fin. Kyr et ses Hirondelles, les six autres filles de son âge, passent leurs journées de rotation en rotation, prenant leur poste côté Agricole, Nurserie ou Système, ou tout autre partie vitale de la colonie pour assurer leur survie. Quand les jeunes atteignent 18 ans, on leur assigne un seul travail pour le reste de leur temps. Kyr est la meilleure de son groupe, ses statistiques sont excellentes, et elle ne se voit pas d’autre futur que dans les troupes de combat qui combattent les aliens responsables de la destruction de la Terre. Alors quand le message arrive avec le mot “Nurserie”, la condamnant à une vie de grossesses, et quand son frère est chargé de sacrifier sa vie dans une mission désespérée, Kyr n’a d’autre choix que de se rebeller.
Quel livre! Il m’a attirée avant même de savoir de quoi il était question, étant donné qu’Emily Tesh est l’autrice de mes novellas préférées, Silver in the Wood & Drowned Country. Ce roman de SF m’a surprise et ravie, d’autant plus qu’il était incroyablement différent des novellas, montrant par là les qualités d’autrice de Tesh.
Les premiers chapitres m’ont demandé beaucoup de concentration, pour apprendre à connaître Kyr avec son caractère fort mais criblé de défauts, et l’univers dans lequel Terriens et Terriennes ont perdu la guerre. Puis, à travers les subtilités du scénario et de l’univers, les personnages se sont mis à briller et à prendre le devant de la scène, apportant avec eux de nombreuses questions autour des notions de légitimité et de pouvoir. Kyr a un arc de personnage fantastique, et j’ai adoré la voir évoluer depuis une adolescente dévouée, sûre du bien-fondé de la hiérarchie, vers une jeune femme remettant le statu quo en question, séparant ce qui est vrai de ce qu’on lui a répété toute sa vie.
Il y a des retournements de situation que je n’ai pas vu venir, et qui mêlaient merveilleusement les conflits externes et l’écriture de personnage. L’autrice décrit un monde empêtré dans le racisme et le sexisme mais en montre les origines et la manière dont les personnages font face à la situation, de manière très satisfaisante, le tout dans un récit mené tambour battant. Je l’ai lu à toute vitesse.
Rep : Kyr est codée asexuelle. Il y a des personnages secondaires gays et lesbiens, et des personnages d’origine ethnique variée.
Avertissements de contenu fournis au début du livre : sexisme, homophobie, transphobie, racisme, validisme, agression sexuelle, suicide, mentions de grossesse forcée, d’abus sur mineurs, de génocide et de pensées suicidaires.
Pour des avis plus fréquents sur mes lectures, je vous invite à aller faire un tour sur mon compte Instagram (il n’est pas obligatoire de s’inscrire) : https://www.instagram.com/mariebrunelm/.
Qu'avez-vous lu en juillet ?
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