En mars, je n'ai pas lu. J'ai dévoré des histoires comme si ma vie en dépendait. Les livres sont toujours une porte de sortie, une échappatoire, et j'avais visiblement trop de choses à penser à l'approche du printemps, alors je me suis cachée entre des pages. J'ai aussi profité du fait que je participais au rassemblement de recommandations lecture en fantasy et fantastique dans la bibliothèque où je travaille temporairement, pour lire quelques volumes qui me faisaient de l'œil.
Peau d'Homme, Hubert & Zanzim · 2020
Dans une ville inspirée de la Renaissance italienne, Bianca est une jeune femme de bonne famille destinée à un prochain mariage avec un homme qu'elle n'a jamais rencontrée. Les femmes de sa famille ont toutes des conseils ou des remarques à lui apporter, et en particulier sa marraine, qui lui révèle un secret : une peau d'homme que Bianca peut revêtir pour explorer le monde sous le couvert du genre masculin...
Cette bande dessinée furieusement féministe et queer se dévore rapidement mais reste en tête longtemps après. Son trait épuré laisse place à toute la palette de sentiments que Bianca éprouve en découvrant l'intimité et en s'appropriant son (ses) corps.
Rep : personnage principal queer, personnages secondaires gays.
CW : scènes de sexe, homophobie, bigoterie, sexisme.
La Maison aux mille détours, Diana Wynne Jones · 2008 (2021)
Charmaine est une jeune fille qui ne demande rien de mieux que du temps, du calme et un bon livre. Ce qui devrait lui être accordé pendant qu'elle garde la maison de son grand-oncle en l'absence de ce dernier. Malheureusement, le vieil homme est un sorcier et sa maison, un peu de guingois de l'extérieur, se révèle être assez magique.
Ce livre, le troisième volume de la trilogie de Diana Wynne Jones (dont Le Château de Hurle est le premier), est un délice absolument charmant et loufoque. De la même manière que la maison cache des couloirs menant dans des directions improbables, le récit prend des tours et des détours, sans jamais perdre son lectorat mais en fournissant son lot de surprises. Il commence un peu comme Le Château de Hurle, et les héroïnes partagent quelques points communs, mais leurs chemins bifurquent largement. Bien que La Maison aux mille détours ne m'ait pas autant enchantée que Le Château de Hurle, c'est une lecture parfaite pour s'évader le cœur léger.
Fool's Errand, Robin Hobb · 2001
Avec ce volume, Robin Hobb ouvre la deuxième trilogie suivant les aventures de Fitz et du Fou. Plusieurs années se sont passées depuis l'épisode précédent, Assassin's Quest, et Fitz a choisi de prendre une retraite anticipée dans sa chaumière avec son loup et un orphelin qu'il a recueilli. Mais le monde n'est pas prêt à laisser FitzChevalerie Loinvoyant profiter de la paix qu'il a durement gagnée, et il frappe à sa porte sous la forme d'une silhouette familière.
Les premiers chapitres de ce livre font partie de mes préférés dans toute la littérature. Quand je lis certaines des lignes qui s'y trouvent, je les sens se nicher physiquement dans mon cœur. Elles me font ressentir tout avec plus d'acuité, tout en me berçant de tant de douceur que j'en ai le cœur qui se brise. C'est difficile de décrire l'effet que ces pages ont sur moi : une de ces expériences qu'on ne peut pas vraiment pointer du doigt, mais que j'aimerais faire ressentir avec mes propres mots, un jour.
Le reste du livre est tout aussi parfait, ne vous méprenez pas. Il est aussi d'une triste intense. En termes d'action, il place les pièces sur le plateau pour les deux tomes suivants, mais en termes de personnages, Fitz continue à évoluer énormément, et c'est un délice d'en être témoin.
CW : douleur et mort d'animaux, relation toxique, deuil. Le livre mentionne aussi un kidnapping, des meurtres et des pensées suicidaires.
Rep : la représentation n'est pas nommée, mais il est clair que l'un des personnages est non-binaire. Selon moi, le héros est également demisexuel et biromantique, mais c'est une interprétation personnelle.
Winterhouse Hôtel, Ben Guterson · 2018
La jeune Elizabeth n'a pas l'air très chanceuse, à vivre chez son oncle et sa tante qui la détestent pour aucune raison qu'elle ait pu déterminer. Le premier jour des vacances d'hiver, elle trouve sur la porte de chez elle une note avec un ticket de train, un petit sac de vêtements et les instructions pour rejoindre l'Hôtel Winterhouse et y passer les trois semaines de vacances. Elle s'y rend, s'attendant à un lieu délabré et malfaisant mais déterminée à y trouver un coin tranquille pour disparaître dans un livre. A la place, elle met le pied dans le plus majestueux bâtiment qu'elle ait jamais visité, et y rencontre des gens qui, dans l'ensemble, sont gentils avec elle. Sonnée que la chance l'ait enfin trouvée, elle se donne deux objectifs : découvrir par quel miracle elle a été invitée dans cet hôtel hors de prix, et s'amuser autant que possible.
Ce livre jeunesse est vraiment charmant, avec ses aventures hivernales rocambolesques et ses adorables illustrations. La parfaite échappatoire! En plus, l'héroïne adore les énigmes et les messages codés - c'est une championne d'échelles de mots - et les lecteurices sont encouragé.e.s à résoudre le mystère à ses côtés. La légère touche de magie était bien incorporée, et l'amitié toute mignonne entre Elizabeth et un jeune inventeur était un plaisir à suivre. Un point bonus pour la bibliothèque à faire tourner la tête, et les illustrations pleine page.
CW : mort de parents (non décrite), relation toxique.
La Neuvième Maison, Leigh Bardugo · 2019 (2020)
Bienvenue à Yale, foyer de certains des plus brillants - et peut-être des plus instables - esprits du pays. Alex vient d'être recrutée au sein du Léthé, une société secrète supervisant les activités des huit autres sociétés secrètes, chacune spécialisée dans son propre genre de magie. La jeune femme est occupée à garder sa tête furieusement baissée et à éviter les ennuis, pour changer, mais quand une femme est assassinée et que des fantômes ne cessent de perturber Alex, elle n'a d'autre choix que de s'impliquer.
Ce livre purement dark academia rend hommage au Maître des Illusions de Donna Tartt tout en offrant sa propre vision du sous-genre. Je l'avais repéré à sa sortie, car le synopsis cochait toutes les cases que j'aime, mais les avertissements de contenu m'avaient refroidie. Finalement, je suis bien contente que les avertissements de contenu existent, et j'étais encore plus heureuse de les trouver répétés en première page de cette édition. Sans eux, j'aurais passé un sale moment parce que certaines scènes sont horribles et glaçantes. Mais je trouve aussi qu'elles ne sont pas gratuites et que l'autrice les traite vraiment bien - ce dont elle m'avait déjà convaincue dans Six of Crows et Crooked Kingdom.
Ce livre est sombre et torturé et profond, et je l'ai avalé en quelques jours. J'ai eu du mal à le poser. J'ai adoré combien les personnages étaient imparfaits, et ce petit frisson de plaisir quand on découvre que certain.e.s ne sont pas tout à fait dignes de confiance n'a pas de prix.
Rep : personnage principal juive, latina et bi (?).
CW : vomissement, sang, agression sexuelle, drogues, violence.
La Maison au milieu de la Mer céruléenne, T.J. Klune · 2020 (2021)
Saluons l'histoire la plus réconfortante de ce début d'année! T.J. Klune fait don au monde d'un conte moderne sur l'appartenance, les familles que l'on se crée, et la confiance que l'on accorde, le tout au bord de la mer. Linus Baker est un agent du Ministère. Son travail, c'est de visiter des orphelinats où vivent des enfants dotés de pouvoirs magiques et de s'assurer qu'on prend soin d'eux. Il sait garder ses distances, ne pas s'attacher. Mais quand il est envoyé dans l'orphelinat dirigé par Arthur Parnassus, il n'est absolument pas préparé pour ce qu'il va y trouver.
Ce roman queer et inclusif est un énorme câlin. Les personnages sont attachants et essayent juste de faire de leur mieux. J'ai trouvé intéressant d'avoir un personnage principal qui fait partie du système oppresseur, qui comprend d'où vient le mal et qui essaie de faire mieux sans forcément détruire le système par une révolution parce qu'il n'est qu'une seule personne. Il y a une ambiance un peu Hobbit, ce qui me réchauffe le cœur : tout le monde ne peut pas être un superhéros et mettre sa vie en danger pour le bien commun. Parfois, il faut travailler avec ce qu'on a et mener une révolution plus douce.
TW : écoles résidentielles
Il faut savoir, avant de lire ce livre, les évènements horrifiques qui l'ont inspiré. Les orphelinats pour enfants magiques sont tirés des écoles résidentielles canadiennes dans lesquelles des enfants autochtones étaient arrachés à leurs familles et élevés, dans des conditions atroces. Vous avez peut-être entendu parler des cimetières retrouvés dans de tels endroits. Ce livre a suscité un grand émoi dans les communautés autochtones d'Amérique du Nord, car il prend une situation qui est toujours source de traumatisme pour ces personnes, et en fait une histoire réconfortante. Avant de le lire, j'ai écouté les réactions des autochtones qui ont donné leur avis. Pour beaucoup, c'était une couche supplémentaire de traumatisme. Pour d'autre, c'était l'occasion de reconnaître le mal fait mais aussi de le sublimer, en imaginant un monde dans lequel les choses ne se passent pas aussi mal.
Lectures suggérées : Croc Fendu de Tanya Tagaq, On se perd toujours par accident de Leanne Betasamosake Simpson.
Rep : personnage principal gay, personnages secondaires queers (pas définis mais sans aucun doute permis).
CW : grossophobie, maltraitance d'enfants, homophobie.
Moi, Peter Pan, Michael Roch · 2017
Ce singulier petit livre n'est pas qu'une suite du Peter Pan de J.M. Barrie. C'est plutôt un monologue rageur, un cri tout poétique poussé par un Peter qui navigue entre enfance et âge adulte, entre terre, ciel et mer, entre meneur des Enfants Perdus et Enfant Perdu lui-même. Il a la gouaille d'un enfant bavard mais le vocabulaire d'un adulte épris de patois. C'est un petit livre qui se respire plus qu'il ne se lit tant il est court : une inspiration, une expiration, et hop, Peter est déjà parti. Je salue le geste littéraire et la langue imagée de Michael Roch, qui est récompensé pour son œuvre cette année au festival des Imaginales.
Nos Jours brûlés, Laura Nsafou · 2021
Ce roman ado est un des premiers représentants de l'afrofuturisme à la française. Il a été publié en 2021. Au lieu de regretter que ce mouvement n'ait pas été porté plus tôt, je veux célébrer ce livre certes imparfait mais ô combien important. Non, le scénario n'est pas particulièrement original. Non, la langue n'est pas poétique ou recherchée. Elle est efficace, comme l'est ce récit suivant Elikia, une jeune femme noire qui sillonne le continent africain avec sa mère à la recherche d'une cité légendaire cachant le secret de la disparition du soleil en 2049. Laura Nsafou sert une histoire intelligente qui n'évite pas certains clichés (notamment dans la relation entre l'héroïne et son mentor) mais qui se nourrit des traditions et cultes variés de l'Afrique de l'Ouest et Centrale. Plusieurs pages décrivent la construction de l'imaginaire du roman à la fin du volume, en rendant hommage aux cultures concernées pour éviter tout amalgame. Alors certes, j'ai trouvé certains retournements de situation maladroits. Mais ce livre porte de telles attentes sur ses épaules que je veux me concentrer sur ses nombreuses forces et je continuerai à le recommander.
Rep : casting entièrement noir.
CW : mort, mort d'un parent, auto-mutilation.
Nous qui n'existons pas, Mélanie Fazi · 2018
Comme il est délicat de donner un avis sur un texte aussi personnel que celui de Mélanie Fazi, qui décrit sa découverte et son acceptation de ses identités asexuelle et aromantique.
Le premier avis que j'ai écrit s'est vite changé en une histoire de mon propre coming out, ou plutôt des différentes étapes de mon coming out. Je me suis trouvée dans la situation du Fitz de Robin Hobb, qui ne parvient pas à écrire une histoire des Six Duchés car tout se mêle trop intimement à sa propre histoire. Je ne peux guère analyser un livre aussi personnel que celui de Mélanie Fazi, car je l'ai ressenti au plus profond de moi. Je suis heureuse de l'avoir lu une fois mon propre parcours arrivé à une étape de sérénité, mais j'aurais été tout aussi reconnaissante de le lire alors que mes questionnements battaient leur plein. Merci, Mélanie, pour le cadeau qu'est ce précieux petit ouvrage.
Pour des avis plus fréquents sur mes lectures, je vous invite à aller faire un tour sur mon compte Instagram (il n’est pas obligatoire de s’inscrire) : https://www.instagram.com/mariebreta/.
Qu'avez-vous lu en mars?
Comentarios