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Nature vive

Dernière mise à jour : 26 mars 2020

Pour mieux voir, il commence par fermer les yeux. La forêt a déjà tant à offrir à ses oreilles et à son nez. Adossé à une écorce rugueuse, il accueille les jeux de la lumière filtrée par les feuilles sur son front, ses mains, ses pieds nus. Ses outils attendent, tout près, qu’il ait fait connaissance avec son atelier de verdure par d’autres sens que la vue, pour commencer. Ses mains s’attardent sur la mousse, sur les herbes souples. Les bruissements, pépiements et craquements l’environnent. Les arbres s’étendent sur des kilomètres tout autour de lui mais il ne ressent pas cette immensité comme une menace. Elle est un terrain de jeu pour son imagination. Au lieu de l’air immobile de son studio, il savoure les courants légers qui glissent entre les troncs.

Il ouvre les yeux doucement sur les verts, les gris et les bruns infinis. La vibration des couleurs l’enivre. Presque inconsciemment, il place son carnet à dessin devant lui et choisit un crayon. Il prend le temps de le tailler avec son canif, laissant les épluchures tomber autour de lui. Une fois la pointe bien effilée, il l’approche du papier mais suspend son geste un instant.

Son regard se perd dans les fourrés, le long des écorces aux milles aspérités, puis dans le miroitement des feuilles de chêne qui jouent avec le soleil. Sans regarder sa feuille, il trace un premier trait qui part en exploration, sans boussole, guidé par le grain du papier. Quand le crayon s’arrête, il contemple le tracé hasardeux quelques secondes, puis lui répond par un deuxième mouvement souple qui part du coude et se réverbère jusqu’à la mine. Un sujet naît entre son esprit, son support et le modèle patient et toujours nouveau qui l’entoure.

Dans son élan, la toile vivante de la forêt s’offre à son crayon. Entre les silhouettes des troncs, rendues familières par l’observation minutieuse, éclosent de timides ajouts, purement fortuits, qui plongent dans l’humus fertile pour mieux s’élancer vers les frondaisons. Des architectures bourgeonnent. Saisi par sa propre audace, l’artiste s’abandonne et fait fleurir les constructions et les ornements à l’abri des ramures.


19-25 mai 2018

 

Ce texte a été écrit dans le cadre d'un atelier d'écriture sur le thème "Forêts et Merveilles". La consigne était de se balader en forêt, d'y choisir un coin pour s'installer et d'écrire un texte inspiré de nos sensations.


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Les mots, qui nous accompagnent pour voir, découvrir, regarder, admirer, contempler ces sous-bois. Le regard du dessinateur qui nous permet de fureter, explorer, glisser, caresser, se fondre dans cette nature.

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