Avec la fin de mon défi lecture en février, j'ai simplement choisi mes lectures en fonction de mon humeurs, avec dans le lot deux romans pour participer à un prix organisé par ma bibliothèque municipale. Résultat : un bilan tout en contraste et en variété, avec un nouveau livre préféré et une seule déception.
King of Scars, Leigh Bardugo · 2019
Besoin d'une lecture fun? Faites confiance à Reine Bardugo.
Presque trois ans ont passé depuis les évènements de Ruin & Rising (que je n'ai pas lu, voire ci-dessous) et l'essentiel de Ravka et de ses environs titubent toujours sous le poids des conséquences. Au milieu, le roi Nikolai confronte des ennemis venus de l'extérieur et de l'intérieur, la quête d'apaisement de Nina lui fait découvrir les sombres plans de Fjerda, et Zoya laisse son armure se fêler.
J'admire l'écriture de Leigh Bardugo. Elle arrive à mettre tellement de cœur et de personnalité dans un récit haletant qu'on n'a d'autre choix que de tourner les pages. Je dois admettre qu'il m'a fallu un long, long moment pour entrer dans le livre, parce que, même avec les informations insérées le plus naturellement possible sur les évènements passés, je sentais bien que je n'avais pas lu les deux tomes qui suivent Shadow & Bone, où sont présentés certains personnages essentiels (essentiellement Nikolai et Zoya).
Une fois que j'ai recollé les morceaux, en revanche, j'ai pu me détendre complètement et me laisser emporter par l'histoire. J'adore le style de l'autrice et la façon dont elle écrit les personnages — ce mélange de badinage et d'insolence crée un mélange détonnant.
Rep : une protagoniste est grosse et bisexuelle. L'autrice a un handicap.
CW : usage de drogue, addiction, sexism, grossesse forcée, deuil, mention de mortinatalité.
Comment écrire de la fiction?, Damon Knight · 2022 (1981)
La publication de cette traduction suit l'essai de Lionel Davoust qui porte le même titre, Comment écrire de la fiction, mais est sous-titré "Devenir artisan de ses histoires". L'ordre dans lequel les deux essais ont été publiés n'est pas innocent, je pense : celui de Lionel Davoust est à la fois plus technique et plus accessible, c'est celui que je recommanderais en priorité. Celui de Damon Knight (tiré de textes publiés en 1981 ou avant) va moins au cœur des choses, mais il établit aussi quelques vérités qui m'ont fait mal, dans le sens où il n'y a que la vérité qui blesse et que Knight pointe du doigt ce que je refusais de voir. C'est plus un livre au long court sur l'écriture qu'un manuel comme celui de Davoust, et personnellement j'ai préféré le deuxième pour sa précision, son humour et son actualité.
La Tour, Doan Bui · 2022
Paris, les Olympiades, Tour Melbourne. La majorité des habitants sont des familles vietnamiennes qui ont fui la guerre et ne sont finalement chez elles ni au Vietnam, où elles sont considérées comme des traitres, ni en France, où elles sont immigrées et non expatriées. Les vies de plusieurs habitants se croisent le long des 37 étages et des 4 ascenseurs.
Ce livre est assez époustouflant dans tout ce qu'il brasse. C'est une épopée bouillonnante qui mêle l'intime et le politique, et qui déborde de l'espace alloué au texte en le ponctuant de notes de bas de page explicatives. C'est un roman sans concession, qui scrute une part de grandeur mais surtout de décadence de chacun des habitants, pris au piège de leurs préjugés et de leurs regrets. On sent la patte journalistique de l'autrice qui fouille dans les moindres recoins et n'hésite pas à apparaître elle-même sous des traits peu flatteurs, en partie car tordus par la méfiance de ses personnages.
J'ai eu un peu de mal, comme avec tous les livres qui s'approchent de la réalité historique, à faire la part de ce qui était de la fiction et ce qui n'en était pas. Ce n'est absolument pas un reproche fait à l'autrice, juste une observation personnelle. Cela étant dit, j'ai admiré ce tableau d'une société entière et de ses racines à travers les 296 fenêtres de la Tour Melbourne. Le résultat met le lectorat face à ses contradictions et à celles d'un pays aux prises avec un racisme systémique.
CW : racisme, agression sexuelle, suicide.
Les Oiseaux du Temps, Amal El-Mohtar & Max Gladstone · 2019
Que faire face à un chariot à lire qui déborde? Se lancer dans une relecture, pardi! Cette novella a été un immense favori en 2020 (je crois). Elle est tout aussi délicieuse à relire, parce qu'elle ne se laisse pas saisir entièrement et elle recèle tant de détails ahurissants qui passe en un clin d'œil qu'il est impossible de se souvenir de tout, et donc la surprise est toujours nouvelle. Les Oiseaux du Temps est comme un long poème caché dans des lettres et des bribes de narration, qui tournent autour de Bleu et Rouge, deux agent.e.s dont les identités se meuvent et dépassent les barrières de la chair, de la même manière que leur relation brise toutes les barrières. Je ne peux vraiment pas recommander assez ce petit bijou de lecture, en particulier si vous avez besoin d'une pause, d'une échappatoire à tout le reste, littéraire ou non, et si vous voulez vous perdre dans une parenthèse de poésie et d'imagination.
Franny and Zooey, J.D. Salinger · 1961
Lisez-vous des livres recommandés dans d'autres œuvres de fiction?
Je me souviens avoir voulu lire celui-ci après mon visionnage de la mini-série de Noël toute mignonne "Dash & Lily", sans autre raison. Mais le fait est que j'ai une tolérance très basse pour les gens bavards. Iels m'épuisent. Donc je vous laisse imaginer mon état d'esprit en lisant ces deux histoires de Salinger à propos de gens qui n'arrêtent PAS de parler. Non, je n'ai pas été divertie. J'ai à peine fini le livre, pour être honnête. Non, je n'ai rien à redire à son écriture des personnages et à ses dialogues, mais je suis désolée, je n'apprécie pas le dialogue pour le plaisir du dialogue.
Blue Lily, Lily Blue, Maggie Stiefvater · 2014
Dans ce troisième volume de leurs aventures, je ne vais pas dévoiler ce à quoi Blue et les Raven Boys sont occupés. Je peux en revanche vous assurer que Maggie Stiefvater nourrit toujours cette atmosphère délicieusement étrange, assez mystérieuse, avec une touche de nostalgie. Contrairement au volume précédent qui était concentré sur Ronan, celui-ci place tout à tour chaque personnage sur le devant de la scène pendant qu'ils poursuivent leur quête des temps modernes. Jusqu'ici cette série conserve l'impression vaporeuse qu'elle me laisse : à chaque fois que je termine un tome j'ai du mal à expliquer ce que j'ai lu, à part que j'ai passé un super moment. L'autrice a le chic pour parler de choses sans en parler, ce qui est un régal mais rend le récit difficile à paraphraser et résumer. Lisez-le, vraiment, parce que cela vaut vraiment le détour, et jugez-en pour vous-mêmes.
Le Goût du temps dans la bouche, Séverine Vidal · 2022
Roman familial assez classique mais bien tourné, j'ai lu Le Goût du temps dans la bouche pour un prix du premier roman adulte organisé par ma médiathèque municipale. Comme les autres romans du prix (La Tour de Doan Bui et Les Nuits bleues d'Anne-Fleur Multon), je ne l'aurais probablement pas choisi par moi-même, et c'est pour ça que j'aime ce genre d'occasion.
Le roman de Séverine Vidal est très bien exécuté. La prose est d'une limpidité qui fait tourner les pages à toute vitesse, avec une quantité de virgules qui ne font qu'accélérer le rythme de lecture. Les personnages sont assez attachants dans leur humanité parfois désemparée, parfois obstinée. J'ai aimé la présence de personnages LGBTQIA+ : une mamie lesbienne extrêmement sympathique (mais pour en avoir déjà écrite une, je ne pouvais qu'applaudir des deux mains) et un personnage secondaire (voire tertiaire) de femme aromantique, dont l'identité est clairement établie sans que ça ne soit artificiel ni le trait principal de son caractère.
Le récit est régulièrement interrompu par de courts chapitres en italiques dans lesquels résonne la voix d'un mort. Qui? Dans quelles circonstances a-t-il perdu la vie? J'ai apprécié le procédé mais cela m'a déçue de comprendre très vite de qui il s'agissait et les raisons de son décès. Cela étant dit, son mystère tenait une place certes importante, mais pas plus que les relations entre les membres de la famille qui font le sel de ce roman. C'est d'ailleurs ce dernier point qui m'a posé beaucoup de problèmes, car j'ai été déroutée par le nombre de personnages, dont certains ne sont pas décrits suffisamment pour qu'on les identifie réellement à chacune de leur intervention. Je me suis perdue dans les différentes générations, si bien qu'un arbre généalogique aurait grandement amélioré mon expérience de lecture. A force d'essayer de retrouver qui était qui, je n'ai suivi l'histoire que d'un œil. Cela reste un problème purement personnel, et ma mère qui a aussi lu ce livre n'a eu aucun souci de ce côté.
Rep : mamie lesbienne, personnage secondaire aromantique.
CW : mort (après tout, un cadavre parle), homophobie, pandémie, mort d'un proche, deuil, incendie.
Catherine House, Elizabeth Thomas · 2020
La maison est dans les bois. Vous êtes dans la maison.
Bienvenue à Catherine House, école élitiste complètement gratuite pour les chanceux et chanceuses choisis pour y suivre leur cursus. En échange de trois ans d'efforts et d'une vie future nourrie de l'émulation des anciens étudiants, vous devez laisser votre passé derrière vous et recommencer à zéro. Trois ans, aucun contact avec l'extérieur. Cela sonne comme le contrat parfait pour Ines, qui est en fuite et a bien besoin d'un endroit où se faire oublier. Elle ne prête pas vraiment attention au programme scolaire en s'inscrivant, mais découvre bientôt que le cursus plus qu'élitiste qui a fait la réputation de Catherine jette, vous vous en doutez, une ombre inquiétante.
En un sens, je rêve d'avoir écrit ce livre. Il coche toutes les cases que j'adore : des secrets, une héroïne sans concessions, une atmosphère envoûtante, le tout d'une manière très, très calme. Ce livre n'est pas bruyant et remuant, il n'est pas rythmé par des révélations éclatantes et des tensions dramatiques. Il se faufile plutôt sous la peau sans que l'on ne s'en rende compte. J'adore le fait que son inquiétante étrangeté ne dépasse jamais la ligne du traumatisant et que l'on continue à se poser des questions jusqu'au bout.
Dans un entretien reproduit à la fin, l'autrice décrit son livre comme "un roman gothique littéraire à suspense dans le cadre d'une université semblable à une secte", et explique qu'elle s'est inspiré de Barbe-Bleue, ce que je n'avais pas saisi mais qui fait tellement sens. Le temps dira si c'est un nouveau favori, mais je crois bien!
CW : vomi, confinement, cruauté envers un animal.
Rep : Ines est noire, bisexuelle et aromantique. Les personnages secondaires ont des identités variées.
Sorrowland, Rivers Solomon · 2021
Quelle. Expérience. Ce livre est très, très intense, et si j'avais su qu'il versait dans l'horreur je n'aurais sûrement pas eu le courage de le lire, mais je suis bien contente de l'avoir eu et de l'avoir fait.
Vern est seule dans les bois, mais pas pour longtemps. Dès la première ligne du roman, elle donne naissance à des juleaux tout en fuyant une communauté proche d'une secte. C'est une histoire de survie, d'évolution. Cela raconte comment trouver sa valeur au-delà de ce qu'on a toujours subi, et se libérer d'années de mensonges. Vern est jeune, oui, mais elle est déterminée et plus forte que ce qu'elle paraît ou même ressent. Etrangement plus forte.
Rivers Solomon laisse à peine son lectorat respirer tout au long de ce roman gothique moderne. Quand ce n'est pas une menace venue de l'extérieur, c'est soit la nouveauté de fonder / trouver sa nouvelle famille, soit l'expérience de l'étrangeté venue du propre corps de Vern qui maintient en haleine. Ajoutez à ça des fantômes dérangeants, des adelphes précieux qui grandissent comme des mauvaises herbes, et de l'amour lesbien, et vous avez un livre surprenant et immense.
Rep : héroïne noire, albinos, lesbienne, genderqueer avec un nystagmus (handicap visuel), personnage secondaire Lakota queer.
Avertissements de contenu fournis par l'auteurice : racisme, mysogynie, auto-mutilation, idées suicidaires, homophobie, violence envers des animaux, violence explicite, agression sexuelle non décrite. A cela, j'ajoute l'horreur corporelle.
Pour des avis plus fréquents sur mes lectures, je vous invite à aller faire un tour sur mon compte Instagram (il n’est pas obligatoire de s’inscrire) : https://www.instagram.com/mariebreta/.
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